Gabriële

Septembre 1908. Gabriële Buffet, femme de 27 ans, indépendante, musicienne, féministe avant l’heure, rencontre Francis Picabia, jeune peintre à succès et à la réputation sulfureuse. Il avait besoin d’un renouveau dans son œuvre, elle est prête à briser les carcans : insuffler, faire réfléchir, théoriser. Elle devient « la femme au cerveau érotique » qui met tous les hommes à genoux, dont Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire. Entre Paris, New York, Berlin, Zürich, Barcelone, Étival et Saint-Tropez, Gabriële guide les précurseurs de l’art abstrait, des futuristes, des Dada, toujours à la pointe des avancées artistiques. Ce livre nous transporte au début d’un xxe siècle qui réinvente les codes de la beauté et de la société.



Commentaire:
Chaque famille cache des parts d’ombre mais dans celle des deux sœurs Berest, on peut dire que cette ombre est immense à l’effigie d’une femme tout autant extraordinaire que monstrueuse. C’est ce que j’ai ressenti en lisant ce roman sur Gabriële Buffet, épouse de Francis Picabia. En décidant de faire renaître sous leur plume belle et alerte le destin de leur arrière-grand-mère dont elles ont appris l’existence le jour de sa mort, Anne et Claire Berest nous entraînent dans un Paris à l’aube du vingtième siècle et dans un milieu artistique en pleine mutation. Cette Gabriële qui aurait dû avoir la vie de nombre de femmes de l’époque, à savoir se couler dans une vie patriarcale et sans reliefs, a eu la chance d’avoir une personnalité très forte, et surtout d’avoir rencontré Francis Picabia qui va faire d’elle sa muse, son partenaire, sa secrétaire, sa femme… Poussé par son intelligence, sa clairvoyance, il va vouloir révolutionner la peinture, lancer une nouvelle manière de « voir » le monde. Et dans sa quête, il emmène sa femme dans un tourbillon de rencontres, de voyages, d’expériences diverses, de triomphes et d’échecs aussi. Dans cette vie menée à cent à l’heure, Gabriële se retrouve à discuter avec Guillaume Apollinaire, à voir « Le sacre du Printemps » de Stravinsky avec qui, nous dit-on, elle aura une liaison plus tard, devient l’amie de Marcel Duchamps, celle d’Elsa  Schiaparelli, etc… Mais derrière ce destin fascinant, il est une vérité qui dérange : Gabriële aimait son mari, elle l’a suivi partout, accourait dès qu’il le lui demandait, apaisait ses doutes, prenait en charge ses moments de dépression. Elle l’aimait c’est vrai mais aux dépends de leurs enfants. J’ai été frappée par l’indifférence qu’elle leur porte, par le nombre de fois où elle les pose comme on poserait des paquets pour rejoindre son mari qui n’était pas meilleur père d’ailleurs. Et je me suis alors demandée pourquoi les deux sœurs avaient voulu écrire sur leur arrière-grand-mère, surtout quand dans les dernières pages elles écrivent : « Francis et Gabriële ne seront jamais des parents pour leur dernier enfant Vicente. Un enfant qui n’était pas voulu. Un enfant qui n’était pas aimé par des parents qui s’aimaient trop. Notre grand-père se suicidera à 27 ans, par overdose, ne laissant aucun mot, mais une petite-fille de 4 ans, Lélia.  Ce prénom hébreu si rare signifie la nuit. C’est tout ce qui fut laissé à Lélia, outre le nom de Picabia- l’obscurité en héritage. Notre mère n’a connu aucun membre de sa famille. » Ont-elles voulu, à travers ce livre, lui redonner une famille, lui offrir un gage de leur amour ? Ce roman, mais est-ce un roman ? m’a dérangée – je n’ai pas aimé Gabriële et encore moins Francis Picabia !- mais il m’a plu pour l’univers décrit et pour la démarche des deux sœurs : faire revivre une aïeule extraordinaire dans tous les sens du terme.

Dernière information:

J'ai pu lire ce roman en tant que jury du Grand Prix des Lectrices de Elle. Je remercie la direction du magazine pour m'avoir permis de découvrir ce roman qui ne laissera personne indifférent.

Commentaires

Articles les plus consultés